Interview faite à Ris-Orangis le 06/04/96 au festival Punk sur Seine.
D'abords (comme d'habitude) l'historique et la présentation du groupe:
François :Moi je suis au chant, Benoît c'est le conceptualisateur du groupe, on a Lucas à la guitare, Xavier à la guitare, Gwen à la basse et Olivier à la batterie. En gros, ça fait 4 ans et demi, on a deux démos, un 45T, un album, bientôt un autre 45T et sans doute un autre album à la fin de l'année.
Pourquoi ZABRISKIE POINT?
F : On l'a choisi parce que ça sonnait bien, et puis c'est un film qu'on aime bien. On l'avait vu peu avant la formation.
Le groupe s'est formé dans quelles conditions et pourquoi?
F : Il n'y avait pas une personne du groupe qui soit musicien à l'origine. Mais on faisait tous un petit canard à la fac et puis à un moment, on s'est dit pourquoi pas faire un peu de musique : la musique que l'on écoutait, du punk et du rock; et de fil en aiguille, ça a continué. On a trouvé un local de répétition. Un jour, on a pu faire quelques concerts, une démo. Après on a rencontré Stéphane qui avait des contacts avec Combat Rock. De ce fait, ça a donné un titre sur "Dites le avec des fleurs" et puis ça nous a permis de faire des concerts avec des gens de cette compil : HEYOKA, LES PERFUSES, +++, PKRK, LES CADAVRES... Et puis ensuite un 45T sur Adrénaline records et l'album "Fantôme".
D'où viennent vos inspirations pour les textes?
F : J'essaie de faire des textes de chansons avec une structure refrain, couplet, break, des trucs comme ça, avec une petite histoire. Mon écrivain préféré est Kent des STARSHOOTER. Mais ça va plus loin, parce que tu vois un mec comme Gainsbourg, je trouve qu'il écrit super bien, il sait vraiment placer le refrain où il faut... Après, je suis assez lecteur, il doit donc y avoir quelques références littéraires, mais pas forcément explicites.
Et vos inspirations pour la musique?
F : En général, ça commence par une guitare ou un chant. Un des deux guitaristes, voire même le batteur, trouve une rythmique. Les influences sont punk rock. On écoute tous sensiblement la même chose!
Est-ce que, comme dans les chansons: "Aujourd'hui je suis punk" et "5 punks dans le vent", vous vous revendiquez comme punks?"
F : Au début, on a beaucoup fait de provocation avec le mot punk. C'est un truc qu'on a mis en avant pour provoquer parce qu'on n'avait pas du tout la gueule de punks et on avait pas du tout des histoires de punks. On était étudiants, une vie relativement confortable, pas du tout en prise à la violence sociale, pas chômeurs, pas trop dans la merde. On est pas spécialement riche, mais je n'ai jamais été dans la merde. Punk, c'était surtout une identité musicale. On est pas des punks, mais on fait du punk rock et c'est ça que l'on voulait revendiquer : c'est une certaine façon de faire de la musique et aussi une attitude.
Pourquoi vous êtes-vous inspirés de Taxi driver?
F : C'est un film que l'on aime bien à peu près tous. C'est marrant parce que j'avais écrit le texte et j'avais pensé au film en l'écrivant, mais sans plus quoi! Je m'étais dit : "Tiens, ça doit venir de là!", mais je n'avais pas décidé de l'appeler comme ça. Je crois que le rapprochement, c'est que c'est un film qui montre un certain type de violence, une violence complètement individualiste : je veux dire que le mec ne fais pas de violence au nom de la révolution, au nom de ceci ou cela... Il fait une violence pathologique d'humeur le mec, il en a marre, c'est une décharge.
Benoît : Quand il va tuer l'homme politique, ce n'est pas une violence politique.
F : C'est une violence pire que le terrorisme, car dans le terrorisme il y a des cibles. Par exemple, action directe va tuer le PDG de Renault ou des arabes vont tuer des juifs, mais là, c'est plus proche du terrorisme aveugle. Je trouve que c'est un film de 1976, mais c'est très proche de 1996 cette violence qui vient de nulle part.
B : Il n'y a pas de sens à ce qu'il fait!
F : D'où aussi la chanson "Capital violence" où l'on dit : "Bientôt nos violences elles-mêmes n'auront plus de sens". On vit dans un monde où l'on pratique tous une certaine forme de violence. Mais c'est une violence qui n'est plus rationnelle, politisée... Je suis un peu bavard hein!
Quelle est votre chanson préférée des ZABRISKIE?
F : Moi c'est fantôme! Mais c'est difficile, parce que les chansons récentes, tu les trouves forcément mieux parce que ça te paraît nouveau. Mais je crois que dans les nouvelles compositions, il y aurait presque ma préférée.
Vous les jouez ce soir?
F : On ne veut pas bourrer les gens avec de nouvelles chansons. Quand ils viennent te voir, ils ont envie de voir des choses qu'ils connaissent. On a 7 compositions que les gens ne connaissent pas, et on va en jouer 3, alors que l'on aimerait bien jouer les 7.
Qu'est-ce que vous faites en dehors de la musique; est-ce que vous vous impliquez dans quelque chose d'autre : artistique, politique... Quelque chose d'extra musical?
B : Moi je dessine, je peints un peu.
F : Politiquement, on a fait un peu au moment des manifs étudiantes, CIP, tout ça quoi!
B : C'est à dire que l'on fait des A.G., des tracts, mais ça n'a jamais été trop engagé.
F : On est assez proche des traditions marxistes. Je trouve ça vraiment passionnant, mais on a jamais fait le saut dans un parti parce que le P.C.F. ça ne nous correspond pas, même lutte ouvrière, il y a des trucs qui me gonflent. Et puis l'associatif c'est bien, mais c'est limité... Sinon, j'aime bien le cinéma.
Pour quelles causes vous semble t'il le plus urgent d'agir?
B : Individuellement, c'est presque impossible. C'est un effort collectif de s'engager pour une cause. A part les structures entre associations ou les partis politiques, il n'y a pas vraiment de structures publiques.
F : Sur le fond, il y a quand même quelques priorités. Le fait qu'il y ait la spéculation financière, les millions qui font les millions, et à côté de ça, qu'il y ait des gens qui sont pauvres et vivent dans la merde; de voir que c'est toujours les enculeurs qui enculent et les enculés qui se font enculer. Et en plus, il y toujours une spirale: plus j'encule, plus j'encule; et plus je suis pauvre, plus je deviens pauvre. Et c'est toujours pareil. Alors ça, ça m'énerve! Je n'aime pas que les riches s'en sortent toujours alors que ce sont souvent des gros cons, ce sont des gens incultes, des gens qui n'ont aucun style, aucun humour, et c'est eux qui emportent la mise ça m'énerve!
B: C'est vrai que c'est une bonne cause de lutter contre ça, mais le problème est que l'économie est mondiale, donc ça, ça ne dépend absolument pas de ce qui se passe dans ta ville ou dans ton quartier. Forcément, qu'est ce que tu veux faire toi en tant qu'individu et même en tant qu'association. Tant que le choix étatique sera le libéralisme, les individus qui lutteront ne pourront pas avoir assez d'impact.
F : Une prise de pouvoir n'est même plus suffisante puisque les représentants de l'état qui sont les pouvoirs nationaux, sont élus par des gens d'une certaine communauté, et on voit bien que ces pouvoirs nationaux sont totalement tributaires de la mondialisation des échanges comme on dit à la télé. Donc là, on se sent impuissant, c'est trop. Coluche disait que la misère du monde n'est pas de dimension humaine, mais c'est pire que ça, c'est le monde lui même qui n'est pas de dimension humaine. Il fut un temps, j'y croyais pas mal, mais là je n'y croit plus honnêtement.
Pourquoi avez-vous repris un texte de Nietzsche?
B : Déjà Nietzsche est un philosophe qui s'est exprimé avec beaucoup d'impact. Comme on fait des études de philo, on a lu ce mec et on s'est dit "tiens si on mettait une mélodie là dessus, il n'y a vraiment rien à changer".
F : Quand un mec a écrit ce qu'il a écrit là... Il a tout dit, il n'y a même plus la peine d'écrire une chanson : "La tolérance c'est à dire l'incapacité de dire ni oui ni non", c'est une phrase que j'aurais aimé écrire, bravo, chapeau bas! Il n'y a plus qu'à répéter, c'est trop fort!
Pour vous la scène alternative est-elle importante et y a t'il des groupes intéressants dans votre région?
B : ça dépend par ce que l'on appelle la scène alternative. Si c'est des fanzines tout ça, ça fonctionne, c'est super et ça permet à plein de petits groupes de se faire connaître, d'avoir des relations de ville en ville, de trouver des dates de concerts sans trop démarcher, c'est plein de contacts qui circulent bien. Mais bon, ça reste alternatif donc peu de moyens et pas le droit de citer dans des proportions importantes. Par exemple, avoir un clip, c'est quasiment impossible car il faut déjà sortir de cette scène là, de ce milieu, et c'est dommage. Apparemment en Allemagne, ça marche un peu mieux, c'est beaucoup plus structuré, il y a plein de salles, plein de labels, plein de zines qui fonctionnent bien. En France, il y a des labels dans la lignée de Combats Rock qui se montent, notre pote Stéphane Moreau qui fait Dialektik records, Adrénaline qui est bien parti, il y a Limo Life et puis Trisomik records sur lequel va sortir le 45T d'ici une à deux semaines. En fait, ça ne demande qu'à grossir.
F : Les groupes du côté de Nantes...? C'est pas une région trop punk rock. C'est à dire que ce n'est pas une région comme la banlieue parisienne, ou Reims ou Lille où l'on est allé deux trois fois, ou à l'est... qui sont des régions plus ou moins prolétariennes et populaires. Or, le punk, l'alternatif, ont un enracinement vraiment populaire. C'est la musique des chômeurs, des prolos... Nous on vient d'une région libérale du centre droit, du centre gauche, c'est le pays modéré, le climat y est tempéré, tout est tempéré là-bas. Il n'y a pas de skins, pas beaucoup d'immigrés, pas beaucoup de chômeurs, le Pen fait 3%, le P.C. 4% : il n'y a pas de punk rock là-bas. Ce qui marche là-bas, c'est la musique bourge du moment, la version bourgeoise de la subversion, c'est à dire de la fusion. Voilà ce qui marche : la pop et la fusion!
B : Un peu de ska quand même!
F : Mais beaucoup de trucs qui sont de demi teinte, pas assez radicaux et qui ne sont pas non plus FN et variétoche, mais qui jouent quand même un drôle de jeu, un jeu assez bourgeois.
B : Il y a quand même YALATEFF! C'est en Vendée! Là-bas, c'est déjà un peu mieux, mais sinon, il n'y a rien.
Quel est le plus beau concert que vous avez fait?
F : Tout à l'heure!
B : A Paris avec les PKRK et les CADAVRES.
F : Les concerts ça dépend à 5% de toi. ça ne dépend pas vraiment du fait que tu sois en forme ou non, parce qu'en gros, avec quelques petites variations, on joue toujours de la même façon. ça dépend beaucoup de l'ambiance, du monde, de l'organisation, de la sono... Est-ce que tout à l'heure ça va être affreux ou est-ce que ça va être l'orgasme?
Quels sont les personnes ou personnages que vous aimez?
B : Nicolas Ouedec
F : Maurice Pialat, celui qui a fait Van Gogh.
Et les groupes que vous aimez?
F : Les Clash, PKRK, Cock Sparrer, Ramones, Starshooter, Wampas, Rolling Stones, 999, Stiff Little finger, Greenday...
B : Rancid...
F : Le meilleur groupe de tous les temps, je pense que c'est No FX.
Quels sont vos projets?
F : Un 45T qui a un peu tardé : Il y a 3 titres dessus. Et un album en projet.
Libre expression, le mot de la fin...
B : Comme dit tout le monde, bonne chance à ton fanzine.
F : C'est quoi le nom du zine?
Génération No Future.
F : Ah! Il y a deux trucs que les gens ne connaissent pas du tout dans le monde, c'est le marxisme et le punk. Et c'est incroyable comme ce sont deux choses qui font parler, alors que les gens n'y connaissent rien, que personne ne sait ce que sait le punk. Donc des blaireaux qui font de la radio ils nous interviewent alors qu'ils écoutent de la fusion ou de la pop, ils nous disent : "Ah les punks, vous n'avez même pas de crêtes". Alors déjà t'es mort de rire. Après c'est : "Alors les punks, No Future!". C'est vraiment la culture Quid RTL : c'est marqué punk, et devant il y a marqué no future. Enfin bref, moi je suis assez d'accord avec le no future. Il fut un temps où je n'étais pas d'accord, mais maintenant, je crois qu'il n'y a plus de futur. ça veut dire attention, on est mortel, c'est toujours très con à répéter; mais je trouve qu'il y a un vent d'espoir en ce moment, on nous reparle de natalité, de paternité, des valeurs familiales et de l'humanisme, mais je pense qu'il faut arrêter ça. Faire des enfants, ce n'est pas ce que j'appellerai de l'espoir, il ne faut pas déconner.
Bon, comme mot de la fin (On ne va pas t'en faire dix!)...: Ne tiens pas qui veut sa rage, sans diplomatie!... C'est pas mal, non?
Interview tirée du fanzine : "Génération no future n°2"
GENERATION NO FUTURE,
49/53 Rue Emile Zola
62400 BETHUNE